LE NOUVEL OBS
Le phénomène Diam's
Une fille « mortelle » !
Elle a grandi dans une banlieue pavillonnaire avant de trouver dans le rap le moyen de dire ce qu'elle avait sur le coeur. Des ados aux mères de famille, la France se reconnaît en elle
Taille 40-42, et pas 38, plutôt genre « boulette » et fière de l'être. Cheveux courts, et pas longs ondulés, un peu garçon manqué. Jogging-baskets plutôt que jupe talons aiguilles. Mais des T-shirts décolletés, un sourire rouge à lèvres, des boucles d'oreilles, des ongles longs et soignés. Elle a rappé à guichets fermés sur la scène de l'Olympia, sa tournée est pleine à craquer, elle prépare le Zénithet a vendu depuis février 370 000 exemplaires de son troisième album, « Dans ma bulle ». Bref, une star. Qui fait kiffer les ados, parce qu'elle s'exprime «au nom des jeunes incompris qui luttent contre eux-mêmes». Une fille de 25 ans, qui se la raconte, oui, mais plaît aux mères de famille, quand elle chante tout l'amour qu'elle-même doit à sa maman. Une «jeune demoiselle» qui, comme toutes, «recherche un mec moooorteeeel», entre «l'intello et le beau gosse», avec «le calme de Zidane», qui regarderait ««Scarface», «les Affranchis», «Casino» mais aussi «Friends», «Lost» et «les Sopranos»». Une rappeuse qui a la patate et toujours «la banane» malgré les galères.
En fait, c'est juste l'histoire d'une p'tite meuf de banlieue avec des mots plein les poches, morceaux de clichés épars. Une gamine parmi tant d'autres, d'abord perdue au fond de sa chambre, dans le sud de Paris. Elle arrive d'ailleurs, mais elle est d'ici, métisse toute blanche née à Chypre en 1980 et élevée dans une zone pavillonnaire de l'Essonne, le 9-1. Un père absent, une vie bancale. Elle est Mélanie angoissée de solitude et ficelée dans ses contraires quand à 15 ans elle avale de quoi mourir : «Mélanie, petite fille fière et bonne élève/A tenté de fuir la vie à coups de somnifères sur les lèvres.» Dans sa chambre d'adolescente, elle écoute Jean-Jacques Goldman, mais aussi IAM, NTM, Assassin. Le hip-hop lui offre du verbe pour mettre de l'ordre dans ses maux. Et comme c'est pas l'école qui lui a dicté ses codes, elle rappe vite, elle rappe grave, toujours dehors, «RER B zone Saint-Corséville/Bus 03, direction Carrefour Les Ulis». Ainsi Mélanie devient-elle Diam's, agrégat de tous ces éclats, lorsqu'elle se redresse et se fait le miroir d'une France qui lui ressemble. Celle de son frère Jamel Debbouze, avec «des p'tites femmes qui se débrouillent entre l'amour, les cours et les embrouilles/Qui écoutent du raï, du R'n'B et du zouk». Sa France à elle, c'est pas «celle qui vénère Sarko, intolérante et gênante/(...) qui prétend s'être fait baiser par l'arrivée des immigrés, celle qui pue le racisme mais qui fait semblant d'être ouverte/Cette France hypocrite (...) qui pense que la police a toujours bien fait son travail». On dirait presque un album manifeste, avec des engagements qui dérangent, et des gros mots qui ne font pas rire les députés-censeurs (par exemple, «Tu cherches tes couilles? Elles sont cachées dans mon string»).
Oui, c'est vrai que Diam's est grave en colère devant les représentations erronées d'une jeunesse à laquelle elle appartient. Elle s'explique : «Si j'ai écrit des morceaux comme «Ma France à moi», c'est aussi histoire de dire que mon BTS banlieue est une vraie richesse culturelle.» Et même... Elle n'hésite pas à crier sur scène sa solidarité avec les enfants de tous les quartiers de France pendant les émeutes de novembre. Elle n'aurait pas brûlé de voitures, aurait plutôt été «femme de soldat». Mais voilà, dans les albums de Diam's, il n'y a pas que «de la haine dans mes vers et de la rébellion dans l'air». Il y a la vie d'une fille tout court, qui écoute Camille et « M », qui fait ses courses chez Darty, a un iPod, une psp (PlayStation portable), un dico électronique toujours dans son sac à main, mais rêve du prince charmant, de mariage et de marmots. C'est ça, le secret du succès de Diam's... Appeler la jeunesse aux armes et revendiquer certaines valeurs, genre nostalgie d'une France d'avant, qui n'enfilait pas de string aux gamines de 7 ans. Elle peut accuser un pays «qui regarde «Julie Lescaut» et regrette le temps des «Choristes»», parce qu'elle dénonce dans le même temps une époque où «on ne jure que par le sexy et le fictif», où «le romantisme a pris une gifle et les actrices de films X sont devenues des artistes».
Diam's chante même l'amour, dans une petite ballade jouée au piano avec ses doigts cassés. C'est son coeur rose bonbon, ses enthousiasmes naïfs, mais sincères, qui font consensus. La rappeuse n'est pas méchante, elle est même attachante, capable de dire à Ségolène Royal sur un plateau télé qu'elle l'aime bien. Juste un sentiment, et les journaux en font «toute une histoire, y voient un soutien politique», courrait même une rumeur de candidature aux législatives dans l'Essonne... Rangez vos rêves, Diam's fait du rap.
CD : «Dans ma bulle», Capitol/EMI.
Concerts : en tournée jusqu'à la mi-décembre.
Mélanie Georgiadès, alias Diam's, est née à Chypre le 25 juillet 1980. 1994 : premier groupe de rap. En 1999 sort son « Premier Mandat ». Son single « DJ », extrait de l'album « Brut de femme », se vend à 500 000 ex. Et « la Boulette » est aujourd'hui numéro un des ventes de singles en France, en Belgique et en Suisse.
par Elsa Vigoureux
Nouvel Observateur - 08/06/2006
Accueil 
